Qu'est-ce que la forme scolaire?

Définition de l'école

Aujourd’hui, le modèle éducatif repose sur la forme scolaire, c’est-à-dire l’école. Par école, définie par le Larousse (2022) comme un établissement où l’on donne un enseignement collectif général, on entend aussi bien maternelle, primaire, collège, lycée, et établissements du supérieur, que les établissements privés ou publics, que les établissements traditionnels ou à statut expérimental. En effet, ces établissements partagent les caractéristiques de la forme scolaire.

La notion de forme scolaire

L’école est une institution, définie par Marcel Mauss et Paul Fauconnet (1901) comme un ensemble de codes institués collectivement, et par Jean Oury (2001) comme l’ensemble des règles et activités rendant la vie en société possible. Il existe donc des traits caractéristiques, tels que la disposition du lieu ou les manières d’agir dans l’établissement, qui rendent l’école reconnaissable. Ces codes, en partie implicites, sont influencés par de multiples représentations. Altel (1994) explique en effet que « l’interaction pédagogique est liée aux processus sous-jacents que sont les perceptions, les attentes, les cognitions de l’enseignant, celles-ci déclenchant les actions et interactions des élèves et, en retour, ce sont les perceptions, interprétations et attentes des élèves qui déterminent les actions des enseignants.». Les caractéristiques de l’école en tant qu’institution constituent la forme scolaire, notion développée par le sociologue et philosophe Guy Vincent (1994), qu'il définit par une relation pédagogique instaurant un temps dédié (par exemple les heures de classe, la récréation ou l’étude), un espace spécifique (par exemple l’école, la salle de classe et son organisation : des rangées de tables, une estrade, un tableau) et des règles impersonnelles (par exemple l’immobilité, le silence, l’écoute et le travail). L'espace est donc l’un des éléments définissant la "forme scolaire", et son organisation est fortement liée à celle du temps. S’interroger sur ce que signifie « la classe » est l’occasion de comprendre le lien étroit entre espace et temps. Celle-ci est définie par Virginie Dargere (2014) d’abord comme un lieu, c’est-à-dire un local équipé d’un ensemble de bureaux et d’affichages organisé, conçu pour recevoir un enseignant et des apprenants, mais aussi comme un temps, une activité et un groupe. L’appropriation de l’espace est dépendante de celle du temps (Jean-François Thémines, 2018). On voit par exemple que la circulaire sur les rythmes scolaires (mise à jour de 2017) amène l’enseignant à partager la classe avec les intervenants du péri-éducatif en dehors des heures de cours, ce qui met en jeu son aménagement. L'espace doit être adapté à l'emploi du temps: pour permettre un moment de sieste, il faut un coin sieste. On comprend ainsi le lien profond entre pédagogie et rapport à l'espace-temps. C'est parce qu'une conception de la pédagogie est à l'origine d'une conception de l'espace, qu'il ne peut y avoir d'innovation architecturale sans innovation pédagogique.

Espace pédagogique

L’approche géographique de l’école en tant qu’espace habité, si elle est peu développée, semble pourtant enrichissante d’après Anne Sgard et André-Frédéric Hoyaux (2006): « L’école, en tant qu’institution, en tant que communauté spécifique d’apprentissage et de socialisation a été abondamment étudiée par les spécialistes des sciences de l’éducation, mais aussi par les sociologues. Cependant, elle n’a pas encore attiré l’attention des géographes, selon une entrée spécifiquement spatiale à partir d’une analyse à grande échelle. Si de nombreux géographes se sont intéressés à l’école, que ce soit à travers une approche démographique, socio-politique ou purement didactique, rares sont les auteurs qui font référence à l’école en tant qu’espace spécifique, et porteur d’éléments symboliques structurant l’identité territoriale de ceux qui la pratiquent. Ce désintérêt semble renforcé par les réticences des géographes à analyser et comprendre d’une manière générale les relations qu’entretiennent les enfants et les adolescents à l’espace. Ces derniers apparaissent comme un groupe flou, insaisissable et en constant devenir. ».

Penser l’enfant et ses besoins apparaît alors comme une étape indispensable pour penser l’espace pédagogique à construire. Selon le philosophe Martin Heidegger (1951), pour savoir construire il faut habiter, sinon c’est de l’inhabitable qu’on construira, et pour savoir habiter il importe de savoir penser, car habiter sans penser n’est pas habiter, mais simplement être posé là par hasard. Alors, comment penser un espace pédagogique ?

L’espace se pense à travers une double approche abstraite et concrète : penser en dehors du terrain revient à s’éloigner de la réalité et à ne pas tenir compte des spécificités du public. Pour Erving Goffman (1973), l’espace peut être perçu comme une étendue indéfinie qui réfère à des théories physique (Einstein) ou mathématique (Euclide) ; une étendue limitée tels une place ou un vide ; et une étendue symbolique, qui est une mesure entre deux éléments concrets ou abstraits. Selon les psychologues C. S. Weinstein et T. G. David (1987), l’espace constitue une zone d’activité dans laquelle «l’enfant réfléchit, agit, joue, communique et interagit ». On peut donc considérer un espace pédagogique comme un espace ayant pour fonction l’accompagnement de l’enfant dans son évolution, tout en prenant en compte les besoins des conducteurs, c’est-à-dire toutes les personnes intervenant dans ce processus éducatif. Dès lors, tout espace aménagé en vue de l’éducation des enfants peut être pédagogique (la maison, la médiathèque, l’hôpital, le musée, le restaurant, etc).

Les espaces scolaires ont pour fonction principale l’éducation des enfants, mais sont-ils des espaces pédagogiques pour autant? En effet, l'espace scolaire doit répondre à trois exigences aujourd’hui : assurer la sécurité, respecter les conditions d’hygiène et favoriser le développement d’apprentissages inscrits dans une démarche pédagogique adaptée (Travaux d’école, 2020). Ces normes, comme nous allons l’avons vu, sont imprégnées du tournant qu’a pris l’école au XIXe siècle selon Guy Vincent (1980), et peuvent être remises en question : sont-elles pensées pour rassurer les adultes, ou pour assurer le développement des enfants ?

La construction d’un établissement scolaire implique de faire des choix architecturaux. Ces derniers n’ont pas qu’une influence esthétique : ils conditionnent les pratiques d’enseignement et d’apprentissage. D’une part, ces choix sont influencés à l’échelle macro par la forme scolaire (une relation pédagogique instaurant un temps dédié, un espace et des règles spécifiques). L’organisation spatiale et les différentes dimensions de la forme scolaire sont donc imbriquées, et visent à répondre à la fonction éducative.

D’autre part, ils sont influencés à l’échelle micro par le dispositif pédagogique. Si le concept de forme scolaire permet de penser ce qu’il y a de commun aux écoles, celui de dispositif pédagogique est plus approprié pour étudier les nuances entre les cas particuliers, et le lien entre macro et micro. Il désigne l’ensemble d'agencements matériels qui constitue un espace de contraintes et de possibilités pour les acteurs et qui va guider ce qu'ils peuvent faire dans ce contexte. Le dispositif pédagogique s’adapte aux besoins spécifiques du public, à condition que la forme scolaire dont il dépend soit suffisamment souple.

Enfin, les choix architecturaux et le dispositif pédagogique sont dépendants d’un ensemble de contraintes (matérielles, économiques, sécuritaires, hygiéniques, écologiques...) auxquelles l’établissement doit répondre. L’espace pédagogique en tant qu’espace scolaire est soumis à une architecture, un aménagement et un programme étant eux-mêmes soumis, comme le rappelle Virginie Dargere (2014), à des contraintes géographiques, politiques et économiques, liées par exemple à des questions matérielles de proximité résidentielle, d'accès, de diversification pour couvrir équitablement un espace territorial habité. L’offre éducative induit des choix pédagogiques et dépend elle-même d’autres enjeux sociétaux parmi lesquels elle s’imbrique (Nada Abdelkader Benmansour, 2011).

La construction des écoles d'un point de vue d'aménagement du territoire est donc à concevoir dans ses liens avec la diversité des fonctions auxquelles une société doit répondre. L'aménagement du territoire vise à permettre aux hommes d’habiter, c’est-à-dire d’exercer les fonctions qui leur sont nécessaires telles que se loger, circuler, consommer, se divertir et travailler. Le bâti scolaire est un des éléments d'un espace organisé, localisé par rapport aux autres selon différentes logiques (temporelle, financière, d’aménagement, culturelle). Ainsi, les choix politiques, économiques, éducatifs et architecturaux, à grande comme à petite échelle, constituent à la fois des opportunités de développement permettant de répondre à des besoins, mais aussi des contraintes limitant ce dernier.

Ces choix architecturaux sont influencés par les représentations et les intérêts des différents acteurs du projet, en particulier les architectes, et ceux qui ont un pouvoir de décision (les élus de la ville, la Région...). Sur quoi se fondent ces représentations ? Ceux qui décident sont-ils les mieux placés pour faire ces choix ? Prennent-ils en compte la dimension pédagogique nécessairement soulevée par l’élaboration d’un établissement scolaire ?

Penser l'espace scolaire revient à s'interroger sur les fonctions auxquelles l'école doit répondre. Celles-ci sont multiples et très évolutives. Comment les fonctions de l'école ont-elles évolué, ainsi que les besoins matériels pour y répondre? En quoi la forme scolaire scolaire actuelle est-elle le fruit d’une longue histoire?

Pour donner des éléments de réponses à ces questions, nous présenterons brièvement dans l'article suivant l’évolution de la dimension spatiale de l’école.

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