L'éducation a longtemps été réservée à une élite, et avait pour principales fonctions la transmission de connaissances et de valeurs. Dans l'Antiquité, elle se faisait chez des précepteurs, chez qui les enfants étaient amenés par un esclave appelé pédagogue (celui qui conduit). Ces derniers y apprenaient les sept arts libéraux ou sciences formant le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie et musique).
Cet enseignement se développe au Moyen-Âge à travers la scolastique, et Charlemagne regroupe les précepteurs en ordres monastiques.
Les collèges spécialistes apparaissent ensuite à l’époque moderne, caractérisée par l’esprit critique et la raison d’Etat. Si l'école est toujours réservée à une élite, elle regroupe désormais les élèves, et l'enseignement devient simultané. La fonction éducative de l'école se trouve alors renforcée par une ambition patriotique de cohésion nationale. S'ensuit d'une part une unification du contenu, de la manière d'enseigner et du matériel pédagogique; d'autre part une division de l'espace en classes individuelles, du temps en un emploi du temps répétitif, et du contenu en différentes disciplines (conduisant à la spécialisation des maîtres).
Ce modèle Jésuite (Plan des études 1599), que l'on doit pour beaucoup à Jean-Baptiste de La Salle, fondateur de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes au XVIIe siècle, révèle à travers l'organisation magistrale de la classe une conception de l'enfant comme inférieur et suspect, réduit au silence et soumis au regard du maître.
Au moment de la révolution, les établissements religieux sont limités et l’éducation n’est plus réservée à une élite.
Au XIXe siècle, les lieux exclusivement dédiés à l’éducation se généralisent. Les salles d’asile sont créées à partir de 1815 pour suppléer les différentes formes de garderie.
La sociologue Marie-Claude Derouet Besson (2020) rappelle l’influence de François Guizot sous Napoléon, qui remet en place les établissement religieux, et créé le lycée. Il participe au maillage des écoles communales sur le territoire, à l’exigence de formation, à l’instauration du contrôle des maîtres et de la conformité des locaux, et donne plus de poids au financement public.
En 1881 et 1882, sous la IIIème République, Jules Ferry institue l’école gratuite, laïque, et l’instruction obligatoire de 6 à 13 ans. Il précise la définition des enseignements, donne des prescriptions morales et civiques, et instaure la non mixité.
Selon Choukri Ben-Ayed (2013), la contribution de l’école à la reconstruction territoriale, politique voire patriotique du pays est aisément conçue au cours de la IIIe République. Il explique que cet esprit national est particulièrement révélé par les périodes de crises telles que les années 1870. Jules Ferry encadre par ailleurs le programme architectural : l’école, associée à la mairie, devient reconnaissable de par ses pierres et ses briques, ses grandes fenêtres, son préau et sa cour. On remarque à travers ces mesures d’aération et d’aseptisation l’influence du mouvement hygiéniste qui traverse le siècle, mais aussi la continuité avec le modèle Jésuite.
Pour le géographe Pascal Clerc, la forme architecturale traditionnelle est à l’image de la forme scolaire : géométrique, alignée, bétonnée, emprisonnante de par ses grilles et barrières. Cette obsession sécuritaire, liée à la rupture de l’école avec le monde extérieur et à la conception de l’élève comme suspect, rappellent l’analogie entre école et prison de Michel Foucault (1975).
En 1932, l’Éducation Nationale remplace l’Instruction publique, la scolarité est prolongée et la formation du citoyen adopte une visée démocratique et culturelle.
À partir de l’entre-deux guerres, la prise de conscience de la complémentarité de l’action et de la réflexion pour la transmission amène à la naissance des sciences de l’éducation, dont Emile Durkheim était un précurseur.
De nouvelles pédagogies apparaissent pour s’adapter aux besoins de l’élève, selon différentes méthodes. Si la méthode expositive (aussi appelée transmissive, ou magistrale -« ex cathedra ») constitue le modèle de l’éducation publique, d’autres méthodes sont élaborées, comme la méthode interrogative (ou maïeutique), développée notamment dans les écoles Waldorf-Steiner, ou la méthode expérientielle, rendue célèbre par Maria Montessori, pour qui il est essentiel de faire confiance aux enfants et de les laisser expérimenter. Célestin Freinet participe aussi au développement des méthodes démonstrative et active (consistant à travailler en groupe, à échanger et se répartir les tâches).
Les pédagogies nouvelles au début du XXe siècle sont profondément ancrées dans un contexte de découvertes scientifiques sur l’enfance, avec notamment l'invention de la psychologie génétique par Jean Piaget. La conception de l’enfant en tant que tel dont Rousseau est un précurseur fait rupture avec la philosophie classique considérant l’enfant comme un homme en devenir. Cela amène notamment à la demande du ministère d’un mobilier proportionné à la taille des enfants (Instructions du 16 mars 1908).
Aussi, l’enfant ne se réduit pas à son statut d’élève selon Paul Robin, qui pense l’individu dans sa totalité à travers son projet d’éducation intégrale. Pour lui, l’enfant habite l’école, qui n’est pas exclue du reste du monde. Ensuite, l’influence de l’environnement biologique, social et idéologique sur le développement de l’enfant commence à être prise en compte. L’impact des activités et des interactions dans le développement de l’enfant est découvert.
Ces découvertes influencent les pédagogies nouvelles, qui pensent de nouvelles manières d’organiser l’espace. Dans les écoles Montessori, trois grands principes caractérisent l’aménagement spatial. La classe doit d’abord être ordonnée, car l’ordre extérieur reflète l’ordre intérieur. Cela signifie un rangement progressif suivant les degrés de difficulté, ce qui permet à l’enfant de s’orienter. Le matériel pédagogique doit être accessible à l’enfant pour favoriser son autonomie dans la manipulation (à l’inverse, les objets dangereux ou interdits doivent être placés hors de portée de vue et de main). Ensuite, le mobilier doit être léger et transportable pour s’adapter aux mouvements de l’enfant et permettre de créer plusieurs espaces aux différentes fonctions, qui s’adaptent selon les besoins. Enfin, la décoration doit être esthétique afin de créer une atmosphère agréable et de stimuler les sens de l’enfant. Dans les écoles Freinet, l’accent est mis sur la coopération et l’échange, c’est pourquoi les tables sont regroupées.
Si les aires de jeux, le foyer des élèves, le CDI et la BCD, qui apparaissent à cette période, ont perduré, ces initiatives pédagogiques ont peu influencé l’éducation publique. En effet, c’est le modèle d'établissement hérité du XVIIe siècle qui perdure.
Les limites de la standardisation architecturale
Cette section s’inspire des propos de la sociologue Marie-Claude Derouet-Besson (2020). En 1959, la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans ouvre le secondaire aux enfants des classes populaires. Au défi démographique et démocratique posé, l’État répond matériellement par la standardisation et l’industrialisation des constructions d’établissements. Il s’agit d’une solution rapide et économique, qui a permis d’offrir une scolarité aux nombreux demandeurs. La gestion est répartie en un nombre croissant d’acteurs (la région, les communes, les métropoles etc) du fait de la décentralisation de 1986. Celle-ci conduit à l’abandon de la gestion directe des constructions héritée de Guizot et Ferry, les départements et les régions devenant maîtres d’ouvrage des collèges et lycées. La politique nationale de construction est rejetée, niant l’initiative locale et architecturale.
La standardisation architecturale des années 1980 pose cependant un double problème, au niveau du modèle éducatif standardisé hérité du XVIIe siècle, dont on a énoncé les limites, et au niveau du processus de standardisation en tant que tel.
D’abord, l’utilisation de moyens de production rapides et non durables entraîne une dégradation du matériel. La découverte du danger de l’amiante fait scandale, la pauvreté esthétique est critiquée. La Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques échoue, et l’on revient aux constructions traditionnelles, soumises aux concours et à la Loi MOP (1985, Maîtrise d’ouvrage publique). Pour la sociologue, la dégradation matérielle des établissements reflète celle de l’éducation et de ses inégalités (les grandes écoles sont plus propres, mieux entretenues et mieux équipées que les universités, avec l'argent public). Ces dernières sont accentuées par la marché scolaire et la concurrence public/privé.
Aux inégalités territoriales en matière d'équipements scolaires s’ajoute l’échec de l’objectif d’égalité des chances. La massification scolaire de longue durée, avec la politique des 80 % d’une génération au niveau du bac lancée par le ministre PS de l'Éducation Nationale, Jean-Pierre Chevènement, en 1985, et l'ouverture de l'enseignement supérieur, a posé question en termes d'accueil dans des établissements repensés. De nombreux établissements d'enseignement supérieur ont été bâtis pour accueillir les nouveaux étudiants dans des villes qui n'avaient pas d'universités, or le bâti n'a pas toujours été conçu pour son public ni pour les missions d'enseignement. L'absence de liens entre les bâtiments et leurs fonctions est un problème notable lié à la standardisation architecturale. La gestion top-down renforce l'absence de prise en compte de l'hétérogénéité du terrain. Ce décalage entre le service et les besoins du terrain participe à l’échec de la promesse démocratique d’égalisation, malgré la loi Haby en 1975 qui créé le collège unique sans filières, ou la politique compensatoire de discrimination positive mise en place par la gauche en 1981 (par exemple avec la création des zones prioritaires). Si l'école s'est démocratisée, et qu'elle n'est plus réservée à une élite, elle conserve pourtant une fonction de sélection dont les formes ont évolué. La standardisation architecturale a donc favorisé le développement des inégalités depuis la fin du XXe siècle.
Des problèmes mis en lumière par la pandémie de covid et le confinement
Les inégalités scolaires ont particulièrement été mises en lumière lors de la pandémie de covid et des confinements en 2020. Ces derniers ont rappelé l’importance de la dimension spatiale de l’école, l’établissement étant un lieu d’accueil permettant la rencontre « en présentiel » des élèves et des professeurs, ainsi que de multiples interactions dont la privation nous a rappelé la nécessité éducative, mais aussi psychologique. Si la forme scolaire est remise en question, la difficulté pour les élèves de travailler chez eux, constatée pendant les confinements, a révélé son utilité. En effet, pour Stéphane Bonnéry et Étienne Douat (2020), une des difficultés pendant la pandémie était de s’abstraire de l’espace quotidien pour étudier, parce que l’école, en tant que lieu séparé qui s’adresse à l’élève, et pas à l’enfant, constitue un cadre, un appui, pour sortir de soi, de l’enfant pris au quotidien dans les loisirs et les occupations familiales. C’est particulièrement le cas pour les enfants de famille populaire, dont les parents ont moins tendance à relier plaisir et apprentissage.
Les confinements ont aussi fait écho avec l’origine de la maternelle : les salles d’asiles ont été créées au début du XIXe siècle pour suppléer les différentes formes de garderie. Or, on a pu constater les difficultés qu’a rencontré le pays lorsque les parents, constituant une grande partie des actifs, n’avaient plus la possibilité de confier leurs enfants à l’école pour travailler.
Surtout, l’enseignement « en distanciel » a conduit à un recours en urgence aux outils numériques et donc à esquiver un débat pourtant plus que légitime sur le bien-fondé de leur utilisation. En effet, une réflexion profonde sur les implications du développement du numérique s’impose : la possibilité de chercher les informations sur internet transforme la relation des élèves aux sources de savoir. L’information ne vient plus seulement du professeur, dont le rôle consiste plus à guider la recherche d’information, et la classe devient « une équipe d’apprentis-chercheurs accompagnés, qui investiguent dans un contexte en réseau » (Mazalto Maurice, Paltrinieri Luca, 2013). Cela implique de restructurer l’espace pédagogique afin de concilier l’usage des TICS avec des principes d’apprentissage contemporains, comme centrer l’activité de la classe sur la résolution d’un problème complexe (organisation des tables en îlots pour former des petits groupes de collaboration), se méfier de l’impression d’instantanéité d’apprentissage (favoriser l’approfondissement en limitant la promptitude au réagencement spatial), utiliser une technologie qui permet de garder des traces (permettre d’écrire sur des forums électroniques en regroupant quelques ordinateurs dans un coin de la salle), oser douter des sources d’informations (réaliser des expériences pour confirmer les informations et organiser des débats sur la pertinence des sources -tables en U), établir un partenariat explicite et complémentaire avec une classe d’une autre école (organiser une visio-conférence dans la salle), ou encore prévoir des moments d’objectivation des découvertes (diffuser les résultats sur un site ou un blogue, organiser un colloque en visio-conférence) (Allaire Stéphane, 2013).
Cette brève histoire de la forme scolaire permet de faire ressortir les besoins auxquels cette dernière a tenté de répondre, et les objectifs qui en ont découlé. On remarque qu’ils sont intrinsèquement reliés au contexte historique, aux représentations culturelles et religieuses, ainsi qu’aux normes morales.