Les objectifs de la forme scolaire #1 - Spécialisation et formalisation du savoir

Nous allons dans cet article approfondir les objectifs qui caractérisent la forme scolaire, étape indispensable pour saisir et définir les spécificités de cette conception éducative.

La première caractéristique de la forme scolaire est la mutualisation de l’enseignement au XVIe siècle, qui remplace un système de précepteurs remontant à l’Antiquité.

La mutualisation de l'enseignement a deux grands objectifs:

-spécialisation et formalisation du savoir

-unification du contenu à l'échelle nationale.

Commençons par détailler ce premier objectif.

La mutualisation de l’enseignement est étroitement liée à l’émergence d’une organisation disciplinaire du savoir et de spécialisation scientifique. Celle-ci amène la spécialisation des maîtres, la structuration d’un emploi du temps et l’enseignement simultané qui regroupe les élèves. Cette dynamique renforce le statut d’expert de l’enseignant, à l’origine d’une conception d’infériorité de l’élève. Le maître est en position de dominant, et la relation pédagogique devient impersonnelle. Les savoirs sont pré-établis à l’avance, instaurant une pédagogie de transmission plutôt que de construction.

L’ensemble de ces caractéristiques de la forme scolaire permet de répondre aux deux fondements de sa conception pédagogique:

-la décontextualisation des connaissances

-la passivité de l’élève.

Ces derniers découlent de l’objectif de formalisation du savoir de l’école.

La formalisation du savoir consiste, d’une part, à organiser et expliciter le réel de sorte à faciliter la problématisation, ainsi qu’à récapituler et définir les apprentissages. Il s’agit donc en réalité d’une stratégie pédagogique indépendante de toute forme scolaire. Par exemple, lorsqu’on explique à un enfant qui s’est brûlé en touchant le four les notions de chaleur, de douleur et de danger, nous formalisons un apprentissage dans une cuisine et non dans une salle de classe.

D’autre part, la formalisation du savoir est caractérisée par la manière dont les apprentissages sont définis. Dans le système scolaire, celle-ci correspond à la dimension institutionnelle de la formalisation, dont les enjeux sont politiques. Le fait d'institutionnaliser la formalisation permet à l’État de définir les apprentissages selon ses propres critères de pertinence (choix du programme) ainsi que les méthodes d’enseignement (leçon comportant une définition et un exemple, exercice, évaluation).

Ainsi, l’Institution scolaire a fait le choix de décontextualiser les connaissances afin de les formaliser. Ce choix pédagogique va de pair avec la forme architecturale de l’école, séparée du monde extérieur. Les connaissances sont séparées des expériences réelles et transmises de manière abstraite. La mutualisation de l’enseignement consiste alors à regrouper des élèves dans un lieu clos dédié à l’abstraction et privé de toute forme d’expérience réelle impliquant les dimensions corporelle et cognitive de manière holistique. C’est pourquoi l’école incarne la formalisation du savoir, bien que celle-ci ne se réduise pas à la forme scolaire.

Ce modèle de formalisation du savoir repose sur une pédagogie passive. En effet, c’est le maître qui organise et transmet le savoir. L’élève, perçu comme un vase vide à remplir, a pour tâche d’assimiler un savoir pré-établi. L’organisation magistrale de la classe donne au maître sa place centrale. Cette posture de passivité dans l’apprentissage est renforcée par l’industrialisation: Ivan Illich (1971) explique qu’en complexifiant les objets, cette artificialisation nous décourage de comprendre leur fonctionnement pour les réparer et les transformer, étouffant notre esprit inventif et nous décourageant d’apprendre.

Dès ses débuts, donc, la forme scolaire s’organise dans un objectif de formatage et d’inculcation de savoirs de manière déshumanisante. Cette conception de l’élève comme suspect se reflète dans l’architecture scolaire, généralisée par Jules Ferry, qui vise à encadrer et enfermer les élèves. De même, la formalisation du savoir, coupé de la réalité, se traduit aussi géographiquement par la rupture entre l’école et le monde extérieur.

La pédagogie de transmission s’avère peu efficiente en terme d’acquisition des connaissances, à l'inverse des pédagogies actives. En réalité, cet échec apparent semble s’expliquer par le fait que l’acquisition de savoirs dans une visée émancipatrice ne soit pas réellement un objectif de la forme scolaire, comme nous allons le voir.

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